« Notre éducation est neutre, impartiale et elle est cadrée par la loi. Il faut l’expliquer aux parents. » SAPHIA GUERESCHI, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DU SNICS-FSU
Lors du troisième Comité interministériel à l’enfance, lundi 20 novembre 2023, la Première ministre Élisabeth Borne a insisté sur « l’effectivité de la mise en œuvre des séances d’éducation à la sexualité à l’école ».
Pourquoi, en 2023, l’éducation à la sexualité (EAS) est-elle encore un sujet d’actualité alors qu’elle est obligatoire au sein de l’école depuis plus de vingt ans ? « Parce que cet enseignement n’a pas ou n’a été que très peu appliqué depuis la loi de 2001 », déplore Sylvie Pierre-Brossolette, présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, dont les rapports successifs ne cessent de pointer cette négligence de l’école. En juillet 2021, le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGÉSR) conforte ce constat « d’inefficacité ». « Les conclusions de l’IGÉSR consolident ce que nous dénoncions déjà : une absence totale d’ambition et de moyens », observe Saphia Guereschi, infirmière scolaire et secrétaire générale du SNICS-FSU. En novembre 2022, c’est au tour de la Défenseure des droits, Claire Hédon, de rappeler, dans son rapport annuel, la nécessité de rendre effectives les trois séances annuelles d’éducation à la sexualité à l’école. Elle recommande également de « renforcer le contenu de ces enseignements pour mieux sensibiliser les enfants au droit au respect de la vie privée et aux principes d’égalité et de non-discrimination ».
Vers une réécriture des programmes.
Inefficacité, absence de cadre, personnels non formés, manque de temps et de moyens… Sur le constat, au moins, il y a un consensus. Et après ? En juin 2023, Pap Ndiaye, encore ministre de l’Éducation nationale, a saisi le Conseil supérieur des programmes (CSP) pour qu’il élabore pour chaque niveau d’enseignement une proposition de programme précisant les thèmes et les notions abordés dans le cadre de cet enseignement. Depuis, le CSP multiplie les auditions1 , « mais il ne nous interroge pas », déplore Saphia Guereschi, dontle syndicat a participé à la réalisation du livre blanc Pour une véritable éducation à la sexualité publié le 6 novembre par le Planning familial. Intégrer cette éducation dans les programmes est une avancée que salue Alexis Guitton du Collectif éducation contre les LGBTIphobies en milieu scolaire et universitaire : « Le programme, c’est un cadre officiel avec un contenu et un nombre d’heures. » Le CSP n’a pas encore rendu sa copie, mais cette réécriture des programmes d’éducation à la sexualité confirme la légitimité de l’école dans ce rôle. « Aujourd’hui, compte tenu du contexte dans lequel on vit, on ne peut plus considérer l’école comme un lieu uniquement de transmissions de savoirs fondamentaux », martèle Alexis Guitton. Et pourtant… L’histoire hésitante et chaotique de l’éducation à la sexualité en milieu scolaire, rythmée par des avancées et des retours en arrière depuis les années 1960, continue de véhiculer inquiétudes et fantasmes, nourris par des groupuscules conservateurs, souvent liés à l’extrême droite. Le phénomène n’est pas nouveau, mais avec les réseaux sociaux, ce qui se passe dans l’école est instrumentalisé et de fausses informations circulent à grande vitesse pour instaurer de la peur chez les parents.
« Il faut prendre le mal à la racine des stéréotypes et du sexisme. Cette éducation englobe les notions de respect, de consentement et d’égalité. » — SYLVIE PIERRE-BROSSOLETTE, PRÉSIDENTE DU HAUT CONSEIL À L’ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES
Une indispensable prévention aux violences sexuelles « Notre éducation est neutre, impartiale et elle est cadrée par la loi, rassure Saphia Guereschi.
Il faut l’ex-pliquer aux parents. » Et redire que cet enseignement, appelé parfois éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, contribue à la construction individuelle et citoyenne de chaque élève et recouvre plusieurs enjeux sociétaux. Un enjeu de santé publique d’abord. L’éducation à la sexualité informe objectivement les élèves : contraception, prévention des grossesses précoces et non désirées, prévention des infections sexuellement transmissibles. « Dans les années 1980, avec les ravages de l’épidémie du sida, tout le monde a commencé à se rendre compte qu’il fallait outiller les jeunes autour des questions de la sexualité », rappelle Saphia Guereschi. Un enjeu d’égalité entre les filles et les garçons ensuite. « Il faut prendre le mal à la racine des stéréotypes et du sexisme, affirme la présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. L’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle englobe les notions de respect, de consentement et d’égalité. » Un enjeu de prévention des violences sexuelles également. Le nouveau plan de lutte contre les violences faites aux enfants, présenté le 20 novembre, inscrit le renforcement de l’éducation à la vie sexuelle à l’école dans ses mesures phares. « Où, ailleurs qu’à l’école, un enfant victime de violences intrafamiliales peut entendre qu’elles sont anormales et que les enfants ont des droits dont celui d’être protégés ? », interroge Saphia Guereschi. De plus, si les jeunes ne trouvent pas de réponses à leurs questions au sein de l’école, ils les cherchent ailleurs. « Les images pornographiques diffusées sur le numérique ont des effets désastreux sur les représentations de la sexualité chez les jeunes, déplore Sylvie PierreBrossolette. Elles installent la violence dans les relations comme quelque chose de normal. » Résultat : les violences non seulement ne s’estompent pas mais, au contraire, elles augmentent de manière significative ces dernières années. Un enjeu de lutte contre les discriminations homophobes et transphobes aussi. En partant du vécu des élèves, l’EAS aborde l’estime de soi, la confiance en soi, la relation aux autres, les émotions et sentiments, l’orientation sexuelle, l’identité de genre… Au-delà de lutter contre les discriminations, « ces notions permettent aux élèves de s’émanciper », analyse Alexis Guitton. Un enjeu d’amélioration du climat scolaire, enfin. L’éducation à la sexualité, comme toutes « les éducations à », favorise l’acquisition d’une culture civique, des valeurs nécessaires à la vie commune et d’un esprit critique. « Elle est l’affaire de toute la communauté éducative, parents compris. C’est aussi un déterminant de la réussite scolaire », conclut Saphia Guereschi.